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Maria Bustamante
Interview n°1 — Retour à l'accueil
15.01.2016 — 11h30.12h25
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Maria Bustamante est poète.
Née en 1977 à San Felipe au Chili, elle étudie la sociologie à Concepción jusqu'en 2002. Ayant longtemps participé à des cercles littéraires, elle publie son premier livre Bitácora de los malos pasos aux éditions Metales Pesados en remportant le concours Mar de palabras. C'est pendant ses études de sociologie qu'elle se lie d'amitié avec son professeur de philosophie et littérature à Valparaiso et étudie les textes de Juan Luis Martinez. En publiant son premier livre, Maria affirme ses liens avec les Romantiques européens, une libération de la langue aux emprunts lyriques. Elle réside depuis 2007 en France et entame un nouveau travail sur une poésie bilingue.
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[AZ]
En tant que poète chillienne vivant en France, penses tu que la relation entre l'espagnol et le français est visible dans tes écrits?
[MP]
Le fait de traduire m'incite à revoir le texte original en espagnol. Je les traduit moi-même et j'essaye de trouver une manière de faire répondre les deux textes. J'ai commencé à écrire ces poèmes en 2007, quand je suis arrivée en France. C'est une série de chants composés par Franz Schubert, intitulés Winterreise, Voyage d'hiver. Un lied, soit un chanteur et un piano, m'a bouleversé. J'ai lu que les poèmes chantés sur cette œuvre ont été écrits par Wilhelm Müller. On est plongés dans le Romantisme, l'amour, la nature… Au Chili, l'été semble éternel comparé à ici, en France, où l'on passe presque sept, huit mois en hiver. Ça m'a influencé et j'ai l'impression que certains de mes textes, écrits là-bas, sont plus lumineux que ceux écrits ici, que je considère plus sombres.
Est ce qu'il y a quelque chose en particulier qui t'a inspiré dans ces Lieders ? Le rythme, les sonorités ? Un courant ?
Le côté sombre et, je dirai, assumé d'une vie en hiver, d'une vie dans la pénombre. On s'aperçoit plus de ça lorsque l'on vient d'un endroit plus ensoleillé. Je suis vraiment touchée par tout ce que ce chant semble véhiculer. Et pourtant, ça ne se résume qu'à un ténor et un piano. Ça paraît si simple dit comme ça. Quand j'écoute l'œuvre, même si je ne comprends pas les mots, ils me touchent. Et j'ai pu lire une traduction des textes de Wilhelm Müller, qui datent de 1814 je crois et on sent la naissance du Romantisme. J'ai pu comparer les impressions que j'avais avec le texte. Ce mouvement est une énorme source d'inspiration pour moi mais je ne pense pas m'y inscrire ou faire partie d'un courant. Il me donne plus une forme d'énergie et d'impulsion qui me fait écrire. J'aime aussi énormément Verlaine, Mallarmé, Baudelaire
Tu parlais d'un principe d'écriture sans ponctuation.
Oui, car pour moi c'est le résultat d'un croisement entre différentes langues. Lorsque j'étais en train d'apprendre le français, je me retrouvais à penser en français et je sentais l'espagnol s'y diluer. Je parlais une forme de frañol, dans lequel il y a très peu de pause. Dans le sens linguistique. J'ai voulu recréer cette impression dans mes textes. À la différence du français, en espagnol, on accorde énormément d'importance, à l'oral, aux points d'exclamation, de suspension, points-virgules… La structure entière de la phrase est marquée à l'oral. En espagnol, les phrases sont « lourdes ». Tu peux faire une phrase d'une page, et lui donner un rythme très fort avec les pauses, les accents, et les accentuations. Et le français donne une notion, à mon sens, plus « pratique ». La ponctuation est avant tout là pour marquer le sens d'une proposition et forcer les pauses. Le français est moins chantant que l'espagnol et les variations de rythme induis par la ponctuation permettent de donner un sens. Me libérer des contraintes de la ponctuation est possible en poésie où le rythme est immédiatement présent.
Donc des vers courts, absents de ponctuation, donnent le rythme de lecture avec le souffle et la structure du poème.
Oui, exactement. Le souffle est important. Le Romantisme est, dans ses mots et leurs sens, très précis et c'est cette précision qui doit marquer le rythme.
Tes poèmes sont conçus aussi bien à l'écrit qu'à l'oral, à ce que je comprend. La langue va donner le tempo.
Voilà, c'est ça l'idée. La parole va donner le rythme, et le sens va en découler. Les mots seuls n'ont pas de sens particulier. Dans une composition, ils prennent vie et ont un souffle, un poids.
Tu traduits toi même tes poèmes, de l'espagnol au français, tu entretiens la relation entre les deux langues dans tes écrits ?
Oui, car une fois que je les ai composé en espagnol, le fait de les traduire en français me fait réfléchir sur certains termes et certaines prononciations en espagnol. Je modifie donc le texte original et le sens est plus affiné. Mais la traduction peut faire perdre du sens, je pense qu'avoir les deux est important. Par exemple, la fresa, avec un « s », c'est le fruit, la fraise, mais avec un « z », freza, c'est du fumier. Le son en espagnol est très proche, je ne sais pas si on peut retrouver ça, pour ces mots, en français.
Parler de fumier dans un poème me rappelle les Fleurs du Mal de Beaudelaire, où tout un poème est dédié à une Charogne en décomposition.
Oui, c'est ça (rires).
Si tu pouvais te décrire, quel(s) mot(s) utiliserais-tu ?
Saltimbanque! Jongler avec les mots! Il y a aussi une part de tristesse et de nostalgie que j'associe à ce personnage. Il ne se prend pas au sérieux et utilise la joie pour palier à ses ennuis.
D'autres médias, comme l'enregistrement sonore, l'affiche, l'illustration t'attirent ?
Le collectif auquel j'appartenais expérimentait sans cesse, des projections, des murs recouverts entièrement… On partait à la chasse d'images un soir donné, puis on se retrouvait pour utiliser des textes, que l'on combinait avec ces images. On faisait ça vers 2000 ? 2005 plutôt.
Et tu serai prête à expérimenter à nouveaux ?
Oui, c'est certain. Ça me plaît énormément de pouvoir me sentir libre. Quand je faisais mon diplôme de sociologie, je faisais aussi de la lecture pour les aveugles. Je lisais des textes, d'abord très techniques - des tableaux croisés, des données, … - et ensuit, la poésie. Et moi, je n'ai apporté que des textes de Huidobro. Et c'est très compliqué à lire, une pluie de lettres! Ou de lire la différence entre des caractères en « regular » et en « bold  »! Les aveugles doivent comprendre ça avec les sons et les livres en braille. J'y suis allé pendant deux ans et j'y enregistrait ma voix. Au Chili j'ai connu les travaux de Philippe Honoré, de Charlie Hebdo. Des dessins en noir et blanc qui rappellent l'affiche révolutionnaire, populaire. A la fois très épuré et lourd de signification. Ça fait penser à de la xylogravure.
Tu as commencé à écrire dans quel contexte ?
Au Chili, je participais à des cercles de lectures et des petites assemblées littéraires. On se corrigeait entre nous, on lisait nos textes, on s'entraidait. Ça nous donnais un avis extérieur, et souvent une nouvelle approche de notre travail. C'est, je trouve, lié au Creacionismo de Vincente Huidobro. Il a contesté toutes les règles imposées par la Real Academia Española. Il a balancé la grammaire, l'ordre pré-établit, il inventait de nouveaux mots, il déstructurait complètement ses textes, faisait des pluies de lettres… C'était très avant-gardiste, étant de la génération de 1926. Il jouait avec la typographie. Au Chili, ce mouvement est assez présent, la « construction-déconstruction «de la langue. » On avait un professeur de littérature qui venait dans notre collectif et on déjeunait ensemble tous les samedi, de 2002 à 2006. Juan Luis Martinez, professeur de philosophie et de littérature dans un établissement à Valparaiso, est quelqu'un d'incroyable. Il faisait des affiches-poésies. C'était un dadaïste de la littérature chilienne. Tu iras voir la Nueva Novela, c'est superbe.
A la manière de Mallarmé ? Je ne connaissais pas du tout cet artiste, Vincente Huidobro. Il devient autant graphiste et typographe que poète. Le graphisme est une poésie visuelle.
Il y a aussi le fait qu'en Amérique Latine, nous sommes très tournés vers nos propres auteurs. Je ne savais pas du tout à l'époque que Huidobro était entièrement inspiré par tout les Romantiques et Destructuralistes français. J'ai le sentiment que nous n'avions que peu accès à la culture européenne et je pensais que Huidobro était le pionnier dans ce domaine, un fait qu'il a d'ailleurs toujours eu à cœur. Mais ça, tu ne t'en aperçois que lorsque tu voyages et que tu viens en Europe. Ou lorsque tu conduits tes propres recherches.
Il a tout de même apporté ce mouvement en Amérique Latine.
Oui, et c'est finalement lui qui m'a le plus inspiré et qui a donné une importance à la poésie au Chili. Comme en Argentine, au Chili on a un passé littéraire et chacun à un moment se tourne vers l'écriture. Nous sommes beaucoup à être portés vers l'écriture.
Tu avais déjà connaissance du Romantisme et de la culture allemande ?
Non, l'accès à la culture était très élitiste au Chili. Par exemple, ici tu trouves des bibliothèques municipales très bien fournies, avec des médiathèques, des lectures de poésie, d'histoire, de romans… Au Chili, seule une classe sociale relèvement aisée y a accès. Un livre peut coûter dix pour-cent du salaire minimum. Tu n'achètes pas un livre sans y réfléchir.
[New]Curating - Interview de Maria Bustamante par Alexis Zacchi
©Alexis Zacchi - ©Maria Bustamante