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Marion Besenbruch
Interview n°1 — Retour à l'accueil
06.12.2015 — 18h30.18h45
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Marion Besenbruch est Designer Textile.
Après trois ans à la chambre syndicale de couture parisienne puis un an à l'Atelier Chardon-Savard où elle remporte le prix des lauréats 2015, Marion Besenbruch est une jeune designer entrant sur le marché du travail. Ses dernières créations ont été présentées à la Vietnam International Fashion Week; sa collection Dans un Monde Idéal est pour elle une manière d'aborder un monde étrange et fantasmagorique où la Nature devient vêtement. Marion Besenbruch, toujours soucieuse du détail, cherche l'innovation dans tous les textiles et matériaux qui sont dans son œuvre, source de souvenirs et sensations.
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[AZ]
Quel est le contexte dans lequel tu travailles tes matières et tes textiles?
[MB]
Quand je travaille sur une collection, c'est toujours par rapport à ce qu'il se passe dans ma vie, par rapport à ce que je ressens à un moment donné dans un certain contexte. Chaque projet important se déroule plus ou moins de cette manière. L'expo Korea Now! m'a plu sur les différentes thématiques qu'elle évoque. Je fais un board Pinterest où je rassemble que qui m'attire mais en général, ça ne représente pas ce que je fais au final.
On chercherait plus à trouver référents de pensée plutôt que des référents formels. On sent déjà quelque chose qui se dégage des images que tu sélectionnes autour des flous, des nettetés avec des jeux d'épaisseurs et d'opacités.
Oui, comme les superpositions de vêtements, cette volonté de cacher quelque chose pour en montrer d'autre. Voilà, là regarde, le corps est très serré en haut et en bas, un gros volume; les proportions sont étranges et la manière dont les vêtements traditionnels sont découpés. Chaque étape se superpose, les unes au dessus des autres et j'aime cette idée de profondeur dans le vêtement. Je pense travailler sur les ressentis. Chaque ressenti, chaque émotion ou souvenir vient s'ajouter sur le corps nu pour en créer un vêtement, comme une carapace.
A la manière des couches d'arbres par exemple. Où, chaque année, une nouvelle couche d'écorce vient se former autour l'arbre. L'hiver, une zone sombre, l'été, une zone claire.
C'est ça, et dans ces couches il y aurait des souvenirs, des émotions accumulées. Les sentiments composeraient non seulement la personnalité mais aussi l'apparence. Les souvenirs le plus importants marqueraient visuellement plus que les souvenirs mineurs. La rapport à la transparence doit être, je pense, associée à celui de la peau.
Les tons chairs sont eux mêmes composés de différentes épaisseurs et transparences. Les peintres classiques travaillaient en glacis et superposaient plusieurs couleurs (rouge-bleu-blanc-rose…) pour donner des tons chairs plus vrais que nature.
Et la multiplicité des couches pourrait entrainer une nouvelle structure. Faire revenir des souvenirs au premier plan, l'expression «mettre à nu» parle d'elle même dans ce cas. Voire la peau que tu mets, que tu enlèves et jouer avec cette idée de mémoire protectrice et définie par qui tu es.
Ce type de questionnement du ressenti te permettrai d'axer ton travail plus vers une recherche de textile, de l'habillage, de la collection… Tu imaginerais plus une pièce unique monumentale, type vêtement sculptural ou une installation, ou à l'opposé, du prêt à porter, une collection, ou encore des pièces évolutives?
Pour moi ce n'est pas important d'avoir beaucoup de silhouettes, l'évolution peut en effet amener une technique intéressante. Mais ça serait compliqué si ce n'est pas portable. Dans une logique purement financière, même s'il y aura un côté expérimental, il faut que ça reste portable.
Il y aurait toujours la possibilité de créer un espace d'exposition de ton travail. S'il y a une évolution, le portable peut être la première étape. Par exemple, quatre vêtement prêt-à-porter qui évoluent en des pièces plus haute-couture ou une autre silhouette portable.
Oui, et ainsi éviter la sculpture monumentale. Par exemple, cette image d'un costume traditionnel coréen, on voit les couches qui le composent et cette décomposition fait la sculpture.
Ça me rappelle le travail de Bill Viola, exposé au Grand Palais. Il avait installé une dizaine d'écrans translucides quasi-transparents espacés de quelques centimètres; il projetait ensuite deux vidéos, une de chaque côté. Chaque écran arrêtait l'image et la laisser passer sur le suivant, de plus en plus grand à chaque fois. Au centre, les deux vidéos s'atteignaient quasiment, très diffuses. On pouvait voir le trajet de la projection à travers l'espace. Je t'enverrai le lien, j'espère retrouver facilement.
Ça doit être intrigant à voir oui. On doit avoir l'impression de traverser le vêtement du regard. Après, pour la forme au sens brut, je pense m'inspirer des formes traditionnelles coréennes. En les extrapolant au maximum. Je trouve surtout les systèmes de liens et d'attache coréens intéressants. Que des nœuds, pas de choses fermées et cousues. Au niveau de la forme, je vais extrapoler leur costume traditionnel, ou au moins m'en inspirer. Des boutonnages très légers, du plissé… Il faut que j'aille me documenter à la bibliothèque. J'ai besoin de voir des détails, techniques ou non, des textures… Je suis en train de chercher le déclic « sentimental ». Il faut donc que je me plonge dans une documentation aussi variée que possible pour arriver à en prélever des détails et les assembler dans mon esprit.
J'ai ce livre sur le packaging japonais et le furoshiki, trouvé dans une librairie à Nantes, qui répertorie les différents types d'emballages traditionnels de la nourriture. Les nattes tressées pour les poissons séchés, les feuilles roulées pour les balles de riz… Sans jamais de colle. Le paquet doit toujours tenir uniquement avec un nœud, un pli ou un assemblage de formes, jamais d'ajouts externes.
C'est magnifique… J'adore celui-ci, pour les confiseries traditionnelles… Ça me rappelle le Viêt Nam où beaucoup d'aliments sont emballés comme ça dans la rue. Et c'est très appétissant! Les fermetures, les attaches… L'emballage corporel au final.
Et tu as des expositions qui t'intéressent en ce moment, en plus de KoreaNow! ou des sources d'inspirations pour ce projet?
Je compte faire des expositions oui, mais je vais essayer d'expérimenter de nouvelles choses - dans le travail comme dans la vie quotidienne - pour m'ouvrir à de nouvelles manières d'aborder cette réflexion. Mes expériences jouent un rôle énorme dans ma création. Je n'arrive pas à bloquer le monde extérieur et mes émotions lorsque je cherche l'inspiration. Mes vêtements et leur conception sont justifiés par mes découvertes.
Et donc par rapport à ta production, le rendu «final», quel serait ton rêve, ton ambition? Tu serais plus motivée par la possibilité de recouvrir entièrement un corps puis un espace qui te serai dédié ou au contraire, travailler sur des pièces de 3 cm carrés? Tu te considères à la fois comme designer textile et styliste, le vêtement va-t-il être transformé par ton ambition à changer d'échelle?
Le détail est primordial pour moi. Je préfère travailler sur une conception de tissus en créant moi-même les matériaux dont j'ai besoin ou en expérimentant avec de nouvelles textures. Je vais me lancer dans une série d'expériences d'ici cette semaine, ça me permettra d'entamer mes recherches pour ce projet. Mais je ne vois pas encore le point de départ au niveau textile. Il pourrait y avoir une silhouette entièrement couleur chair recouverte d'un voile transparent, sur lequel viendrait un tissu en organza, et les superpositions de fines couches laisseraient voir un sein, un bras, ou juste une forme floue. J'aime bien les volumes simples mais techniques. Dans le costume traditionnel coréen, il y a énormément de réflexion autour du volume, toutes ces couches peuvent donner des formes très variées.
Donc tu vas pouvoir développer ton univers et ensemble on va voir comment on peut communiquer autour. Par exemple, cette réflexion que tu as autour des recherches de textiles et de matériaux, un seul média ne suffira pas. Par exemple, il faudra une page web à laquelle on ajoute une application, ou une vidéo… Ou à l'inverse, l'écran sera une méthode à bannir, et il ne faudra que des supports papier et des installations.
Je pense que le papier sera le meilleur médium pour l'instant. Je pense qu'en tant que jeune designer textile, je dois avoir un moyen sérieux de présenter mon travail. Et le papier m'est plus familier.
C'est possible, mais il suffira d'un déclic, que l'on fasse des essais en vidéo ou en photo pour qu'au final, ça soit la projection vidéo le médium de prédilection pour ce projet. Pour ton projet l'année dernière, la vidéo s'est avérée être un médium clef et se justifiait totalement.
C'est vrai oui. Le sensible restera tout de même au cœur du projet. Mais j'attends ton avis, j'aimerais faire quelque chose de beaucoup plus fort et plus pur que ce que j'ai déjà eu l'occasion de travailler. Je pense que le corps, la notion de transparence et la réflexion autour de l'accroche et du nœud sont les bons axes.
Oui, je pense aussi que ça serait une base intéressante de création. Parler de tissus transparents me fait penser au conte Les habits neufs de l'Empereur où l'empereur, voulant toujours ce qu'il y a de mieux et de neuf se fait vendre un costume transparent, en réalité inexistant. Ça fait partie de notre histoire occidentale.
C'est génial, je vais aller lire ce que c'est, ça a l'air drôle.
C'est très réfléchi et c'est ça que je trouve passionnant. Cette exposition m'a vraiment fait ressentir beaucoup de choses. J'espère pouvoir bientôt la refaire et prendre en note tout ce qui relève des techniques et du façonnage des costumes.
[New]Curating - Interview de Marin Besenbruch par Alexis Zacchi
©Alexis Zacchi - ©Marion Besenbruch - ©ESAG2016